Le cédant peut-il récupérer de la TVA dans le cadre de la cession de ses titres ?

Le 23 décembre 2010, le Conseil d’État a rendu deux arrêts importants dans les affaires Pfizer Holding France  et SA Michel Thierry  sur la déductibilité de la TVA ayant grevé les frais de cession de titres. Ces arrêts s’inscrivent dans le prolongement de la décision AB SKF rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne qui elle-même clôt un cycle de jurisprudence qui aura duré une quinzaine d’années. La question est-elle enfin réglée ?

 

Au niveau communautaire, on relèvera que la jurisprudence n’a pas franchement varié : la Cour apprécie en effet le caractère déductible de la TVA en fonction du lien direct et immédiat existant entre les dépenses exposées en amont et les opérations d’aval, et, à défaut d’un tel lien, recherche si les dépenses en cause ne peuvent être rattachées aux frais généraux supportés par l’entreprise, ce qui permet, en cas de réponse positive, de déduire la taxe, à condition toutefois que l’entreprise exerce bien une activité économique.

 

C’est l’application de ces principes à chaque affaire particulière qui permet de conclure au caractère déductible ou non de la taxe ayant grevé les frais exposés par le cédant à l’occasion de la cession de ses titres. Or des différends sont apparus entre l’administration et les cédants sur le point de savoir si les frais de cession devaient être rattachés à l’opération de cession de titres ou bien à l’activité générale de l’entreprise.

 

L’administration en effet, considère que les frais de cession entretiennent un lien direct et immédiat exclusivement avec l’opération de cession, et conclut à l’exclusion du droit à déduction de la TVA grevant ces frais de cession. Elle rattache donc les frais de cession exclusivement à l’opération de cession elle-même.

 

L’entreprise cédante, suivie en cela par quelques juridictions du premier degré ou certaines Cours administratives d’appel, estime au contraire que la TVA doit pouvoir être déduite car ces frais font partie des frais généraux qu’elle supporte dans le cadre de son activité économique.

 

A ce jour, l’administration a toujours refusé d’admettre cet argument.  Fin 2009, la CJUE a admis que la TVA ayant grevé les dépenses engagées pour les besoins d’une cession de titres pouvait être déduite s’il pouvait être démontré que ces dépenses ont un lien direct et immédiat, non avec la cession elle-même (ce qui suppose qu'elles ne soient pas incorporées dans le prix des titres cédés), mais avec l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti. Il appartenait alors aux juridictions nationales de tirer les conséquences de cet arrêt.

 

Les décisions des Cours administratives d’appel continuant de diverger, on attendait avec impatience la position du Conseil d’Etat sur ce sujet. 

 

Celle-ci est venue en deux temps :

 

Premier épisode :

Dans un arrêt du 10 juin 2010, le Conseil d’Etat admet que la TVA grevant des frais de courtage acquittés par une société à l'occasion d'une cession de titres de placement (opération située hors du champ d'application de la TVA) constituent, au cas d’espèce, des frais généraux rattachables à l'activité économique taxable de la société, tout en précisant que ces frais pouvaient donner droit à récupération de la TVA dès lors qu'en raison des difficultés financières rencontrées par la société, une telle cession était nécessaire au maintien de son activité.

 

Cette décision a laissé les praticiens sur leur faim. En effet, elle concernait une société industrielle qui avait vendu des titres de placement pour faire face à des difficultés financières et lui permettre de continuer son activité. Le Conseil d’Etat n’a donc pas tranché la question que tout le monde attendait et qui était celle de la cession de titres de participations par une société holding mixte. On relèvera toutefois que dans son considérant de principe, qui sera repris tel quel dans les deux décisions commentées ci-dessous, le Conseil d’Etat reprenait à son compte la position de la CJUE.

 

Deuxième épisode :

Dans ses deux arrêts rendus le 23 décembre 2010, le Conseil d’Etat confirme la possibilité de déduire la TVA grevant les frais de cession dans certains cas, tout en adoptant un régime de preuve qui pourrait en restreindre la portée pratique. 

 

Selon la Haute Juridiction, il convient de distinguer, parmi les frais de cession, ceux exposés en vue de préparer la cession, et ceux inhérents à la cession, comme suit :

 

  • Les dépenses exposées en vue de préparer la cession (ex : frais d’audit, frais de valorisation) sont présumées faire partie des frais généraux et peuvent donc ouvrir droit à déduction de la TVA sous réserve de produire des pièces justificatives à cet effet. Toutefois, l’administration serait fondée à remettre en cause la déduction TVA quand, compte tenu des éléments portés à sa connaissance et au vu des pièces qu'il appartient à l'assujetti de produire, elle établirait que le produit de la cession aurait été distribué ou bien que les dépenses auraient été incorporées dans le prix de cession des titres. Pour ces dépenses donc, le caractère déductible de la TVA est présumé, sauf preuve contraire à rapporter par l’administration.
  • Les dépenses inhérentes à la transaction elle-même (ex : frais de rédaction d’acte) ne donnent en principe pas droit à récupération de la TVA, sauf si l'assujetti, compte tenu de la nature des titres cédés ou par tous éléments probants tels que sa comptabilité analytique, établit qu'elles n'ont pas été incorporées dans le prix de cession des titres.Pour ces dépenses, le caractère déductible de la TVA n’est pas admis, sauf au contribuable à rapporter la preuve qu’elles ne sont pas comprises dans le prix de cession. Le régime de preuve est donc dans ce cas plus contraignant. 

En effet, pour ces dépenses, le Conseil d’Etat semble exiger du cédant qu’il rapporte la preuve que les frais de cession n’ont pas été inclus dans le prix de cession. En pratique, cette preuve peut se révéler difficile à établir a posteriori, puisque cela revient à démontrer un fait qui n’existe pas.

 

Quand le contribuable a recours à un intermédiaire unique pour préparer la cession et réaliser la transaction, et que l’intervention de cet intermédiaire ne donne pas lieu à une rémunération distincte au titre de ces deux catégories de prestations, le Conseil d’Etat indique qu’il convient d’appliquer le régime des dépenses inhérentes à la transaction qui est, comme on l’a dit ci-dessus, plus contraignant pour le contribuable.

 

On recommandera au contribuable, pour tenter d’éviter qu’il ait à rapporter une preuve négative, qu’il insère à tout le moins dans l’acte de cession une mention selon laquelle les frais de cession sont à la charge du cédant qui les supportent financièrement et ne sont pas compris dans le prix de cession des titres.


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