Selon les chiffres des experts, environ 12 millions de personnes travaillent dans le secteur de la pêche qui assure la sécurité alimentaire de plus de 200 millions d’Africains et génère une valeur ajoutée d’au moins de 24 milliards $US, soit 1,26% du PIB de l’ensemble des pays africains. Mais l’économie bleue, inégalement développée à travers le continent et contrôlée majoritairement par les entreprises étrangères, doit davantage s’ouvrir aux pêcheurs locaux.
Les experts expliquent que « le concept d’économie bleue promeut une croissance économique durable fondée sur les ressources issues des océans, des cours d’eau et des lacs, et sur d’autres ressources liées à l’eau ». Ce concept suscite un grand intérêt pour l’Afrique. Et pour cause : sur les 54 États du continent, 38 sont des pays côtiers tandis que plus de 90% des exportations et importations africaines passent par la mer. Certains observateurs n’hésitent pas à parler de l’économie bleue comme de la « nouvelle frontière du développement de l’Afrique ».
Un potentiel intéressant
Selon les spécialistes, l’Afrique dispose d’un potentiel non-négligeable en matière de pêche. Les pays du nord du golfe de Guinée (Mauritanie, Cap-Vert, Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau, Guinée et Sierra Leone), en particulier, bénéficient de conditions climatiques et écologiques particulièrement favorables, qui en font une zone maritime des plus poissonneuses au monde. La Méditerranée, du Maroc à l’Égypte, la zone de l’Océan indien et la région des Grands Lacs constituent aussi des zones de développement de la pêche.
Et pourtant, les statistiques de l’Organisation Mondiale pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) montrent que, bien que disposant d’un potentiel non négligeable, l’Afrique demeure un producteur relativement modeste de poissons, et ne se classe qu’au quatrième rang mondial avec 4 500 000 tonnes. Sur le continent même, la pêche maritime est inégalement développée. Le Maroc, premier producteur de poissons et premier exportateur de produits de la pêche en Afrique, vient en tête avec 865 000 tonnes. Il est suivi de l’Afrique du Sud (617 000 tonnes) et du Nigeria (552 000 tonnes).
Quant aux pêches continentales, elles se pratiquent principalement dans la région des Grands Lacs d’Afrique, (Ouganda et Tanzanie) et au Nigeria pour les pêcheries fluviales. L’aquaculture, pour sa part, reste modeste, bien qu’elle ait progressé ces dernières années, essentiellement au Nigeria (200 535 tonnes) et en Ouganda (95 000 tonnes).
Un apport vital pour l’alimentation et l’économie
Les experts sont d’avis que les poissons de mer et d’eau douce sont de loin la première source de protéines animales pour plus de 200 millions d’Africains, en même temps qu’ils garantissent un revenu à plus de dix millions de personnes.
Au Sénégal, par exemple, plus de 70% des apports annuels en protéines animales proviennent du sous-secteur de la pêche qui contribue, par ailleurs, pour 3,2 points au Produit Intérieur Brut (PIB).
La pêche procure des millions d’emplois directs et encore plus d’emplois induits : transformation, conditionnement et commercialisation des produits, confection de filets et d’engins, fourniture de glace, construction et entretien des navires, etc…Un rôle économique reconnu par le WorldFish Centre, un institut de recherche indépendant basé en Malaisie, qui nous renseigne qu’en Ouganda, par exemple, la pêche sur les lacs rapporte plus de 200 millions de dollars par an, ce qui représente 2,2 % du produit intérieur brut national. Ce secteur d’activité emploie 135 000 pêcheurs et 700 000 personnes travaillant dans le secteur du traitement et du commerce de poissons et génère des recettes à l’exportation de 87,5 millions de dollars.
Par ailleurs, les produits de la pêche constituent la première denrée agricole exportée par l’Afrique. D’après la FAO, dans onze pays africains, les produits de la pêche représentent plus de 10 % de la valeur totale des exportations nationales. On comprend que les dirigeants du continent aient clairement indiqué que le développement de la pêche durable était l’une de leurs priorités. En témoigne la Déclaration solennelle du 50e anniversaire de l’Union Africaine du 26 mai 2013 et l’agenda 2063 qui confèrent une place importante aux ressources marines et à l’économie bleue.
D’après une note d’analyse du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIPP), dans le cadre des accords négociés entre les gouvernements européens et africains, des centaines de navires européens développent une pêche hauturière non loin des côtes africaines. Ces accords définissent les espèces et le volume de poissons pouvant être attrapés et les redevances et commissions que les navires étrangers doivent verser pour pêcher dans ces eaux.
Les pays asiatiques, la Chine en tête, eux aussi se positionnent de plus en plus sur le secteur africain de la pêche. Selon des documents du ministère de l’agriculture chinois cité par Greenpeace, «la flotte de pêche en haute mer chinoise est maintenant la plus importante des eaux ouest africaines, avec plus de 400 navires produisant des prises d’un montant de près de 400 millions d’euros par an ». Les accords conclus avec les pays africains participent également aux revenus étatiques, grâce à l’octroi de licences de pêche et au paiement de redevances, les ressources halieutiques étant exploitées par des navires étrangers.
Une place pour les pêcheurs locaux
La communauté internationale semble militer pour « une économie bleue prospère, inclusive et durable ». Ce souci doit être encore plus pris en compte en Afrique où environ 12 millions de personnes, dont une bonne moitié de femmes, vivent des activités de la pêche. Une partie de cette activité est industrielle. Mais, en raison de la faiblesse des moyens logistiques et financiers des nationaux, sa contribution en termes de capture reste inférieure à celle des entreprises étrangères. La grande majorité des pêcheurs africains se livre à une pêche artisanale avec des moyens rudimentaires et est, d’une certaine manière, exclue de cet important secteur d’activité. L’exclusion des acteurs locaux a un effet négatif sur le développement économique et peut aussi entrainer de graves conséquences pour la paix sociale. Des conflits peuvent subvenir entre les petits pêcheurs artisanaux et les entreprises de pêche industrielle si les zones d’intervention des uns et des autres ne sont pas clairement délimitées.
Pour que l’économie bleue contribue davantage à réduire la pauvreté en Afrique, une plus grande participation des nationaux dans ce secteur est nécessaire. Il y a tout d’abord lieu de bien règlementer les rapports entre les pays et les entreprises de pêche qui, pour la plupart, sont étrangères. Un pas a été franchi avec les Accords de partenariat dans le domaine de la pêche (APP) conclus entre l’Union Européenne et certains pays africains. Ces accords leur permettent de bénéficier de ressources financières de contrepartie parfois substantielles, comme en Mauritanie, et d’une protection de leurs pêcheries artisanales, puisque les APP interdisent généralement aux navires européens de pêcher dans la zone des 12 miles nautiques au large des côtes. Reste qu’avec les Chinois, qui sont les plus gros pêcheurs, ces rapports doivent encore être bien règlementés.
Il y a certainement encore lieu d’aller plus loin pour donner une place aux pêcheurs locaux. Les pays africains, eux-mêmes, doivent, selon le plan d’action du NEPAD, développer les moyens dont ils disposent pour attraper et traiter leurs propres poissons, afin que les recettes et rentes économiques provenant de ce secteur soient réinvesties dans des interventions en faveur du développement. Le NEPAD demande aux gouvernements africains de collaborer avec le secteur privé afin d’investir davantage dans diverses formes d’infrastructure : sites de débarquement, unités de réfrigération, réseaux routiers, systèmes de transport et structures de commercialisation. Par ailleurs, il y a lieu de cibler les programmes d’aide aux entreprises, les institutions de crédit et l’assistance technique apportée aux petits exploitants pêcheurs et aux femmes employées dans le secteur du traitement du poisson.
Source : AFRIQUE EXPANSION