La remise en cause des business models – c’est-à-dire la manière dont une entreprise crée de la valeur et mène une activité – est de plus en plus fréquente. La révolution digitale a par exemple « mis au tapis » différentes entreprises : Virgin Mégastore, Comareg (publication d’annonces immobilières), DNS Voyages, etc. L’entrée de nouveaux acteurs et modèles économiques (pure players internet, modèles low costs, places de marché, etc.) déstabilisent profondément de nombreuses industries: transport aérien, distribution, presse, édition, éducation, etc. Les acteurs « historiques » de ces industries sont de plus en plus nombreux à ne pas savoir comment réagir et se laissent fragiliser. Différents principes et exemples montrent pourtant qu’une capacité de résilience, de transformation et d’adoption des nouveaux modes de création de valeur est possible.
1. Envisager de manière proactive différentes options
Dès les premiers signaux prospectifs, plutôt que d’adopter une logique défensive ou de déni, tâchez d’explorer comment votre entreprise pourrait intégrer les nouvelles règles du jeu. Il existe différentes alternatives stratégiques dont l’adoption n’est pas exclusive.
a) Modifier de manière incrémentale le business model traditionnel
C’est l’option, en apparence, la plus accessible mais elle peut dans certains cas être inefficace, voire déstabilisatrice. Elle pose notamment un risque de désarticulation entre les facettes du business model, par exemple entre l’adoption de nouveaux processus techniques et le potentiel humain, ou entre l’évolution souhaitée de la proposition de valeur aux clients et la structure de coûts. Dans la modification du modèle de la vente à distance (du catalogue à internet), le cas de La Redoute illustre les difficultés que posent la clarification de la proposition commerciale et l’alignement de l’organisation interne. Face au développement des jeux vidéo et à une crise de performance (4 années de pertes financières entre 1998 et 2004), le groupe Lego, en revanche, a démontré une capacité de recentrage sur l’apprentissage des enfants par le jeu de construction et une modernisation incrémentale réussie de son modèle opérationnel (nouvelles articulations au sein de la chaîne de valeur, modalités modernisées de la relation clients, etc.).
b) Faire coexister au sein de la même entreprise différents business models
Face à la difficulté systémique d’une modification, le développement d’un business model innovant au sein d’une nouvelle entité organisationnelle est une option fréquente. Elle permet une cohérence et une culture propres aux nouveaux modes de création de valeur. Elle peut favorablement inciter à une clarification plus prononcée du projet du business model traditionnel et progressivement transformer le modèle global d’entreprise. Cette option peut être déployée de manière organique et par croissance externe. A titre d’exemple le Groupe Casino présente aujourd’hui une configuration intéressante de ses modèles de distribution, notamment par la constitution d’un pôle e-commerce Cnova (Cdiscount en France). Le groupe de presse allemand Axel Springer (Bild, Die Welt) montre une transformation digitale remarquable par création et intégration de nombreuses nouvelles entités (notamment en France : SeLoger.com, auféminin.com, Qwant, LaCentrale.fr, etc.).
c) Transformer de manière radicale le business model traditionnel
Face à des impératifs stratégiques et des enjeux de survie, la transformation radicale est une option peu fréquente mais possible. Elle constitue un challenge extraordinaire et nous permet de situer ci-après des clefs de réussite.
2. Recentrer sur une proposition de valeur aux clients et faire autrement
Il s’agit ici de réhabiliter les fondements de l’entreprise, et plus spécifiquement sa proposition de valeur aux clients, puis d’utiliser favorablement les nouvelles logiques (technologies numériques, nouveaux modes collaboratifs, etc.) pour construire autrement les leviers opérationnels autour de cette proposition reformulée. Dans nombre de cas, la mission de base de l’entreprise reste pertinente et doit au plus être réaffirmée ou solidifiée. C’est le support de cette mission qui doit être transformé. La réussite d’un business model réinventé tient à l’utilité réaffirmée et distinctive proposée aux clients puis à une conduite de divers chantiers de transformation permettant un réalignement.
Le processus de transformation d’Encyclopaedia Britannica constitue un superbe exemple (HBR Août Septembre 2014). Face à la révolution numérique, la survie d’un modèle d’encyclopédie imprimée était plus que questionnée. Britannica a remarquablement renversé des menaces en opportunités en réhabilitant (notamment face à Wikipédia) une proposition de valeur de fiabilité et qualité du contenu rédactionnel auprès des institutions d’enseignement. Un nouveau focus sur les services éducatifs numériques a été instauré. La transformation du modèle s’est bien sûr opérée par des nouvelles sources de revenus en ligne (abonnement, publicité), par une relation clients aux modalités modernisées et non plus centrée sur une force de vente pratiquant le porte-à-porte.
Le Club Med constitue une autre illustration de la capacité à mener une transformation radicale. Suite à un concept en essoufflement et à des pertes de plus de 800 millions d’euros en 2002, le nouveau management a recentré l’entreprise sur une proposition de tourisme haut de gamme, convivial et multiculturel. Menée sur une décennie autour de cette proposition reformulée, la transformation a été opérée par de nombreux chantiers opérationnels : investissement massif dans la restructuration complète du parc, approches marketing et RH renouvelées, etc.
3. Associer urgence et temps long
La transformation d’un business model pose des défis redoutables en conduite collective du changement. Une transformation effective ne peut passer que par des incitations extrêmement fortes couplées à une conduite patiente, sans relâche et systémique de projets opérationnels de transformation.
La force de l’incitation et le sens de l’urgence s’assimilent en général à la netteté de la rupture environnementale (Britannica, Axel Springer) ou (et) à des situations de crises de performance (Lego, Club Med). Les ruptures environnementales à un stade avancé et les crises internes sont trop souvent nécessaires pour provoquer les chocs cognitifs salutaires. Elles sont à même de solliciter la gouvernance des institutions pour enclencher des nouvelles visions en général incarnées par des nouveaux dirigeants et acteurs.
La conduite d’une transformation demande ensuite d’inscrire l’action dans la durée. Il s’agit le plus souvent de planifier une stratégie à l’échelle de la décennie (Britannica, Club Med, Lego, etc.). Une discipline de projet et d’apprentissage doit être instaurée pour travailler, selon une vue systémique, sur les nombreux leviers opérationnels. Il s’agit d’instaurer des nouvelles capacités stratégiques passant par des allocations nettes de ressources, le renouvellement des modèles de revenu, l’évolution des potentiels humains et culturels, des nouveaux systèmes de management et indicateurs de performance. Différents outils (cartes de transformation, etc.) peuvent appuyer une articulation cohérente entre les différents chantiers.
Les transformations de business models seront des occurrences de plus en plus fréquentes dans la vie des entreprises. Aux dirigeants d’adopter des méthodes de gouvernance plus proactives et de renforcer leurs compétences en pilotage de projets de transformation.
Source: Harvard Business Review