L’externalisation : de l’opérationnel au stratégique

 

Les dimensions d’efficacité et de performance opérationnelles de l’externalisation sont plus fréquemment évoquées que la contribution de cette dernière au développement stratégique de l’entreprise. L’association classique de l’externalisation avec la réduction des coûts est ainsi illustrative d’une préoccupation de court terme, avec son volet d’efficacité, en particulier opérationnelle. Pour être réellement stratégique, l’externalisation suppose un bilan préalable des axes de développement stratégique et des compétences futures de l’entreprise (Quélin et Duhamel, 2003).

 

 

 

 

Dans cet article, sur la base d’études réalisées depuis le début des années 2000 (voir encadré méthodologique), nous examinons les choix récents des grands groupes en termes de transformation stratégique. La seconde partie offre un panorama des perceptions des managers et présente la pratique de l’externalisation dans les grands groupes français en 2006. Puis, dans une dernière partie, nous proposons une démarche méthodologique en deux volets : 1) la démarche d’analyse stratégique, appliquée à l’externalisation; 2) une comparaison des choix organisationnels possibles : centre de services partagés et externalisation auprès d’un prestataire extérieur. Ensuite, nous examinons les conditions qui feraient de l’externalisation un réel vecteur de la stratégie de l’entreprise, et celles d’une collaboration entre l’entreprise cliente et le prestataire.

 

Cet article offre ainsi une démarche méthodologique claire pour décider d’une externalisation.

I. – LA TRANSFORMATION STRATÉGIQUE DES GRANDS GROUPES FRANÇAIS DEPUIS 2000 : UN BILAN

 

Dans cette section, nous présenterons quelques-uns des résultats tirés d’une enquête menée en 2006 conjointement avec Orange Business Services (Quélin, 2006). Elle apporte certains éclairages intéressants sur l’adaptation des grands groupes et sur les transformations de leur organisation qui accompagnent leurs mutations stratégiques.

 

1. La croissance externe demeure le vecteur dominant du développement stratégique des groupes français

 

Depuis 2000, les entreprises affirment une claire priorité donnée à la taille. Les troisquarts des entreprises interrogées soulignent ainsi le rôle de la croissance externe dans leur stratégie. Pour la moitié, les fusions-acquisitions dominent; elles s’accompagnent parfois de cessions d’activités (25 %). Ces mouvements stratégiques ont largement dominé les alliances comme les partenariats.

 

À l’horizon 2010, consolider le périmètre de leurs activités, acheter et céder des actifs demeurent les principaux choix stratégiques anticipés. La moitié des entreprises interrogées entendent poursuivre leur croissance externe et tirer bénéfice de leur bonne santé financière. D’un côté, répondre à la globalisation des marchés est une priorité affichée, mais les projets de délocalisation ne sont pourtant cités qu’en cinquième position. D’un autre côté, bien que l’externalisation ne soit pas négligée, elle n’est pas jugée prioritaire (classement au 4e rang sur 5 possibles).

 

2. Un début de décennie 2000 marqué par des réorganisations

 

Mode dominant de la stratégie des entreprises françaises, la croissance externe s’accompagne de nombreuses réorganisations et restructurations. Pour les entreprises interrogées, le début de la décennie était principalement centré sur l’amélioration de l’excellence opérationnelle. C’était l’objectif prioritaire pour un tiers de l’échantillon et pour 40 % des plus grandes entreprises (CA supérieur à 1,5 milliards d’euros). Au deuxième rang, 20 % classent les restructurations, et mentionnent les gains de parts de marché (19 %) à la troisième place. À partir de notre enquête «2006 », il est clair que la recherche d’une performance des activités ainsi que les restructurations ont dominé une période de forte pression concurrentielle.

 

3. Un horizon 2010 tourné vers le développement

 

Pour 2010, les entreprises affichent sans doute possible une priorité accordée au développement international et technologique. Parmi les fonctions les plus sensibles pour leur développement stratégique, les entreprises mentionnent :

la recherche et développement pour 30 %;

la fonction marketing et la fonction commerciale sont chacune citées comme premier choix par 24 % des entreprises.

 

Fin 2006, les plus grandes entreprises du CAC 40 affichaient des priorités encore plus marquées : 37 % pour la R&D, 46 % pour le commercial et 27 % pour le marketing. Il s’agit de conquérir les marchés émergents et de répondre aux évolutions des goûts des consommateurs. La conquête de nouvelles zones économiques succède ainsi au rétablissement de l’efficacité opérationnelle.

4. Gérer soi-même la transformation stratégique

 

Du point de vue des partenariats, il apparaît que les grands partenaires stratégiques sont majoritairement cantonnés aux technologies de l’information et à la communication. Plus de la moitié des entreprises le reconnaissent. À l’exception des domaines que sont l’informatique, les télécommunications et la publicité, 85 % des entreprises ne s’attendent pas à s’engager dans une relation exclusive avec un grand partenaire. Par exemple, la recherche et développement fait majoritairement l’objet d’un choix interne (77 %) comme la production (72 %). De même le relationnel passé avec un prestataire ne semble pas être fondamental pour développer un partenariat, pour plus de 67 % des entreprises interrogées.

 

II. – COMMENT LES GRANDS GROUPES FRANÇAIS PERÇOIVENT-ILS L’EXTERNALISATION ?

 

Tout d’abord, deux phénomènes notables apparaissent en 2006 :

près des trois-quarts des sociétés (73,9%) s’estiment être à un « niveau tout à fait comparable à celui des concurrents » en matière d’externalisation. Aucun retard ne serait ainsi perçu et aucun effort de rattrapage ne serait nécessaire; par exemple, 70 % déclarent avoir déjà mis en place des centres de services partagés (CSP) ;

quant aux décisions d’externalisation, 29,9 % affirment fin 2006 ne pas savoir et 41,8 % affirment qu’il n’y aura pas d’opération majeure d’externalisation dans les 3 années à venir; c’est sans doute une décision suffisamment sensible pour ne pas l’annoncer.

 

1. Pourquoi externaliser ? Articuler court terme et moyen terme

 

Parallèlement, pour les facteurs explicatifs de l’externalisation, une vision à moyen terme du métier et une sensibilité opérationnelle sur les coûts sont évoquées simultanément. Le recentrage sur le métier comme la réduction des coûts expliquent le recours à l’externalisation (Quélin et Duhamel, 2003), En effet, en 2006,32,3 % des entreprises jugent très importante l’externalisation pour « améliorer le recentrage de la société sur ses métiers » (60 % pour les niveaux « très important » et « important » cumulés) (cf. figure 1). Ce point est à rapprocher des 52,3 % des entreprises qui jugent l’externalisation comme importante pour « mobiliser des ressources internes pour d’autres usages ».

 

À ce titre, la moitié des entreprises perçoivent donc l’externalisation comme un vecteur de réorganisation des métiers et des activités. Cette dernière porterait naturellement sur le périmètre des activités.

 

Pourtant, 65,7 % jugent encore l’externalisation importante pour « réduire et contrôler les coûts d’exploitation ». Et cette raison est aussi importante que la réallocation de ressources en interne pour d’autres usages.

 

 

2. Les freins perçus à l’externalisation : la dépendance opérationnelle et la culture du client

 

ailleurs seront rapidement brossées tandis que les plus originales feront l’objet d’une attention plus marquée :

Phase 1 : une démarche d’analyse stratégique, appliquée à l’externalisation;

Phase 2 : une analyse des risques;

Phase 3 : une comparaison des choix organisationnels possibles;

Phase 4 : l’analyse des conditions qui feraient de l’externalisation un réel vecteur de la stratégie de l’entreprise;

Phase 5 : l’étude des conditions de collaboration entre l’entreprise cliente et le prestataire.

 

Il est intéressant de constater que pour 43,3 % des entreprises, « l’innovation ou les changements technologiques dans leurs métiers » ne sont pas des freins importants à l’externalisation.

 

Par contre, 62,7 % estiment importante ou très importante la « culture du groupe » comme frein ou inhibiteur de la décision d’externaliser. Trois facteurs pourraient expliquer ceci :

une culture de la centralisation;

une culture de l’autonomie en particulier au travers du syndrome « not invented here » ;

enfin, une assez faible pratique de la relation contractuelle durable avec de grands partenaires.

 

Ces raisons premières ne sont cependant pas directement citées dans notre enquête.

 

Un autre facteur, la perte de contrôle et de compétence, pèse négativement sur la décision :

52,3 % des sociétés jugent importante ou très importante la « perte de contrôle perçue » comme obstacle à l’externalisation;

51,5 % perçoivent d’ailleurs « la dépendance opérationnelle » comme freinant la décision.

 

Examinons maintenant quelle démarche méthodologique pourrait accompagner une telle décision d’externalisation.

 

1. Phase 1. L’approche stratégique de la décision d’externalisation

 

Notre propos est de souligner l’intérêt à mener en interne, dans un premier temps, une analyse stratégique pouvant conduire à une décision d’externalisation (Quélin, 2003). Au sein de cette phase 1, quatre étapes générales sont ici distinguées :

identifier le périmètre des activités concernées par l’externalisation;

analyser la coordination organisationnelle et les interfaces à construireentre l’activité externalisable et celles maintenues en interne;

étudier la faisabilité (juridique, technique, fiscale, etc.) de l’opération;

évaluer la décision sur la base d’une étude multicritère.

 

Une fois identifié le périmètre de l’activité potentiellement externalisable, il est nécessaire d’apprécier si elle est au cœur de savoir-faire, de process et de compétencesclés dont le caractère critique rendrait difficile ou impensable l’externalisation.

 

III. – UNE DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE POUR DÉCIDER UNE EXTERNALISATION

 

Les cinq phases suivantes scandent la démarche méthodologique que nous proposons. Les phases les plus traitées par bution à la création de valeur; la rareté; le caractère non imitable; le caractère non-substituable.

 

 

Le tableau 1 donne quelques exemples de compétences technologiques. Il s’agirait de vérifier que le périmètre éventuel d’une externalisation n’entrainerait pas le transfert de savoir-faire, de capacités et compétences.

 

Toutefois, les processus et les interfaces organisationnels ne doivent pas être négligés. Il est utile ensuite de s’interroger sur les liens que telle ou telle fonction possède avec d’autres activités ou des compétences cœurs, lesquelles pourraient être impactées par la décision d’externaliser. Par exemple, l’interface entre une plate-forme logistique et l’unité de production (exemple : d’un producteur d’eau minérale) constitue un maillon essentiel pour la coordination future entre l’entreprise et son futur prestataire.

 

Enfin, il est nécessaire de vérifier la faisabilité dans les registres technique, opérationnel, fiscal et juridique de la décision. Par exemple, pour la maintenance industrielle, la proximité géographique d’un prestataire est une condition sine qua non, comme cela a été le cas des sites de production de semi-conducteurs d’Altis en Essonne avec le prestataire KLA-Tensor.

 

Sur cette base, l’analyse stratégique doit par la suite porter sur un travail de sélection de critères pour décider ou pas de l’externalisation. L’outil que nous proposons, dans la figure 3, retient les cinq critères suivants :

la structure et le niveau des coûts de l’activité ou de la fonction concernée; par exemple, le directeur financier de SKF France estimait les gains économiques attendus à hauteur de 40 % à l’issue de son contrat d’externalisation des opérations comptables et financières, signé en 2006 avec Cap Gemini;

la contribution au positionnement concurrentiel de l’entreprise : par exemple, il est remarquable que la logistique n’est pas fréquemment citée comme étant une compétence-clé; par contre, elle peut contribuer à l’avantage concurrentiel de la société, en ayant un impact direct sur la satisfaction du client final (cf. Delle ou les sociétés de vente par correspondance);

la pression concurrentielle, en particulier à travers un différentiel de coût ou bien l’antériorité de la décision d’un concurrent, peut pousser le dirigeant ou son comité d’investissement à privilégier la solution externe;

la contribution à la valeur ajoutée demeure un critère essentiel pour en anticiper le contrôle de la source et sa maîtrise; ce critère suppose une bonne anticipation des tendances à venir et des déterminants futurs des métiers de l’entreprise (technologie, capacité d’embauche, droits de propriété, savoir-faire industriel, marque, etc.) ;

la comparaison en termes de performance relative entre la solution interne et la solution externe : cette dimension dépasse le simple coût de la prestation pour apprécier la performance opérationnelle, technologique et managériale de chacune des solutions; par exemple, alors que nombre de ses activités ont déjà été externalisées (transport, traitement des déchets et des eaux usées), Danone estime posséder le niveau de maîtrise et de performance le plus élevé pour la production des produits lactés avec des fruits en morceaux.

 

L’outil (figure 3) permet d’attribuer une note de 0 (faible) à 10 (fort) sur chacun des cinq critères retenus. Un profil s’en dégage, aidant à identifier les critères les plus sensibles.

 

2. Phase 2. Une analyse des risques associés à l’externalisation

 

En complément à la phase 1, l’analyse stratégique de l’activité en quatre étapes, une étude des risques doit venir compléter celle des opportunités (Quélin et Barthélemy, 2000). Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de réaliser une telle analyse en distinguant les situations d’externalisation des cas d’offshoring (cf. article dans ce dossier et Quélin, 2004).

 

Dans le cas d’une externalisation classique (dite nearshore), les risques sont classiques, et cinq risques sont retenus :

les coûts mal ou non anticipés (Barthélemy, 2007);

la perte de contrôle, opérationnel en particulier;

la perte de compétence et de savoir-faire;

le risque d’un conflit social interne, provoqué par l’annonce de l’opération (Quélin,

 

une certaine distance entre les cultures de groupe du client et du prestataire.

 

L’offshoring présente en soi des risques tout à fait particuliers, liés entre autres à l’éloignement géographique, mais aussi au choc des cultures. Ainsi, cinq risques liés à l’offshoring sont identifiables :

les obstacles linguistiques;

l’éloignement géographique pose de nombreux problèmes de suivi et de contrôle de l’état d’avancement d’un projet; il peut ainsi obérer la capacité des équipes du prestataire à venir rapidement sur les sites du client; par exemple, pour réduire ce problème, le prestataire informatique indien Infosys a installé une unité en Roumanie alors que près de 70 % de la structure du coût de son activité sont, en moyenne, réalisés à Bangalore; d’autres prestataires se sont implantés dans les pays baltes pour couvrir la Scandinavie;

il exige aussi du prestataire une grande capacité à mener un projet;

la fiabilité, les problèmes de sécurité et de confidentialité;

l’éloignement des cultures des sociétés clientes et prestataires.

 

Au total, les phases 1 et 2 conduisent à l’identification de certaines activités susceptibles de faire l’objet d’une décision sur leur place future dans l’entreprise.

 

3. Phase 3. Le choix organisationnel : centre de services partagés ou externalisation ?

 

Les deux précédentes phases débouchent sur la question de la forme d’organisation à adopter. Trop souvent, ce point est négligé dans le processus de décision. Pourtant, cela permet un réel examen des différents choix possibles, y compris en interne.

 

En effet, une fois identifiés la fonction (exemple : les ressources humaines), le département (exemple : la comptabilité; cf. de la Villarmois et al., 2003) ou l’unité (exemple : une usine ; cf. Gosse et al., 2002 ou un centre de R&D), voire le processus (exemple : la logistique), le fait de suivre les étapes suivantes (figure 4) va conduire à une élaboration précise des besoins en s’appuyant sur une mise en valeur des dimensions pertinentes.

 

Parmi ces dimensions, la gouvernance en est une, et de tout premier rang. Il s’agit d’apprécier si un rattachement direct à l’échelon corporate est utile et pertinent, comme le seraient la communication financière du groupe ou les relations institutionnelles (lobbying).

 

Entre temps, l’analyse stratégique aura permis d’évaluer si la fonction ou l’activité sont des éléments du cœur de métier, et si elles possèdent un caractère critique ou contribuent à l’avantage concurrentiel.

 

L’exemple de la fonction paie et ressources humaines d’Arcelor en France avant sa fusion avec Mittal est intéressant. Plus d’une trentaine de filiales françaises ont ainsi été sollicitées, sur une base volontaire, pour devenir clientes d’un service interne d’édition des bulletins de paie, de services relatifs aux avantages sociaux, et d’un centre d’appel pour les salariés (Quélin, 2005b).

 

 

Ainsi, le caractère transversal et la compatibilité inter-business units sont naturellement des facteurs favorables à la mise en place d’un centre de services partagés (CSP). La mise en place d’une culture nouvelle autour de la focalisation client et de l’orientation service, et de la facturation en interne de prestations est une condition de réussite (Quélin, 2005b).

 

Ensuite, la comparaison des performances relatives en termes de prix, qualité, flexibilité et innovation conduira à arbitrer entre la solution interne du CSPet l’externalisation. La performance actuelle et future du prestataire, comme la capacité de suivi seront des critères importants. Ils viennent compléter les références acquises et les compétences accumulées dans un métier précis par le prestataire.

 

4. Phase 4. Mettre l’externalisation au cœur de la décision stratégique

 

Il est intéressant de s’interroger sur les critères que les dirigeants perçoivent comme déterminant du succès d’une opération d’externalisation. Ensuite, il faut examiner à quelles conditions l’externalisation peut devenir un vrai partenariat stratégique. Ces points sont discutés par la suite.

Les facteurs-clés du succès de l’externalisation

 

80,3 % des répondants en 2006 pensent que « l’engagement de l’entreprise dans le management de la relation avec le prestataire » est déterminant;

72,3 % estiment important le « soutien et l’engagement de dirigeants seniors/executive » pour réussir une opération;

Et, 75,8 % jugent importante « l’attention portée aux personnels et à leur préoccupation ».

 

Ceci corrobore ce que Trent et Monczka affirment lorsqu’ils recommandent que « des managers interfonctionnels participent au comité de suivi; […] qu’un directeur exécutif possède l’autorité pour impulser une vision du développement; […] des managers mettent en place des processus interfonctionnels » (Trent et Monczka, 2005, p. 26).

 

Au total, il s’agit de s’investir dans la mise en œuvre, puis de communiquer en interne, ensuite de soigner la qualité du processus de sélection du prestataire, et enfin de s’im-Comme nous le mentionnions au début de cet article, l’externalisation est conçue comme transformatrice par 50 % des entreprises interrogées. Pour être un vecteur de la transformation des entreprises, l’externalisation doit répondre à certaines conditions.

 

Tout d’abord, la « compréhension par le prestataire des buts et objectifs de l’entreprise » est perçue en 2006 comme « importante » et « très importante » par 92,5% des entreprises. Cela traduit l’exigence de proximité et de connaissance attendue du prestataire par le client.

 

Pour compléter ce point, 80,3 % estiment déterminante la « vision stratégique des dirigeants » de l’entreprise cliente afin de replacer l’opération d’externalisation dans le développement général du groupe.

 

 

Généralement, les principaux critères de recrutement des personnels en charge du suivi et du pilotage des contrats d’externalisation sont les suivants :

expérience managériale: souvent issue des services informatiques ou des achats;

management de projet: capacité à gérer le relationnel avec le prestataire;

expérience de négociation des contrats;

expérience de l’outsourcing;

crédibilité;

capacités organisationnelles en maîtrise d’ouvrage, et en pilotage de projets.

 

De son côté, la mise en place d’un tableau de bord suppose une maturité de la relation au prestataire, à travers une sélection des principaux critères à même de résumer son activité, sa performance et d’orienter le contrat d’externalisation.

 

La figure 6 ci-après montre que la diffusion d’un tel tableau de bord de l’externalisation reste à amplifier en France.

La qualité du suivi et la mise en place d’un comité de pilotage

 

L’externalisation repose sur un principe de délégation, basée sur une relation contractuelle durable, en confiant la responsabilité économique au prestataire. Elle s’oppose en cela à la sous-traitance. De ce fait, l’entreprise ayant externalisé se retrouve dans une situation assez comparable à la maîtrise d’ouvrage.

 

Moyens et objectifs ont été définis au préalable, mais l’exécution opérationnelle échappe au contrôle direct du donneur d’ordre. Ce dernier doit alors se doter d’outils de management de la relation avec le prestataire : un suivi opérationnel et un tableau de bord.

 

Réunissant le client et le prestataire, un comité de suivi d’un contrat d’externalisation est généralement en charge de deux niveaux de responsabilité. Premièrement, le suivi opérationnel peut parfois prendre la forme d’un suivi hebdomadaire : par exemple pour la gestion des incidents dans les domaines des télécommunications, de la fourniture d’énergie ou de la logistique. Deuxièmement, un suivi plus stratégique à travers lequel sont réexaminés, sur une base semestrielle, les service level agreements (SLA), les tarifs, les volumes et les prestations offertes, afin d’ajuster au mieux le contrat aux attentes du client.

 

5. Phase 5. Choisir un type de collaboration avec le prestataire

 

L’externalisation s’accompagne en fait d’un changement organisationnel assez profond. Le prestataire en devient un rouage essentiel. Trois critères jouent un rôle essentiel : a) la compréhension de son modèle d’affaires; b) la définition claire de ses propres objectifs; c) l’anticipation d’un type de collaboration avec le prestataire.

Comprendre le modèle d’affaires du prestataire

 

Pour se lancer avec succès dans une externalisation d’envergure, il est essentiel de bien comprendre le modèle d’affaires de son prestataire (Quélin, 2004). Quatre raisons le justifient.

 

 

Premièrement, l’analyse en interne aura préalablement permis d’identifier les zones de progrès opérationnel liées aux réorganisations possibles d’une activité donnée. Pour l’entreprise, il s’agit alors de savoir si elle souhaite prendre elle-même ou non ces mesures avant l’externalisation. Les réserves de productivité sont fréquemment importantes. Dans le cas de la mise en place d’un CSP, ce ré-engineering s’impose.

 

Deuxièmement, il est très utile de savoir pourquoi et comment le prestataire peut obtenir des réductions du coût total de l’ordre de 25 à 30 %. Il doit être très clair que cela n’est possible que grâce à la mutualisation et aux économies d’échelle. Ceci doit donc se traduire par une acceptation que le prestataire possède d’autres clients. Il est aussi évident que les moyens techniques, les méthodes et l’organisation du prestataire pourront contribuer à sa performance économique. Il convient alors de tenir compte des objectifs d’investissement dans la négociation tarifaire.

 

Troisièmement, la flexibilité et la réactivité attendues du prestataire supposent de sa part une capacité de répartition de la charge d’activité, et de redéploiement de ses moyens. Ceci requiert un portefeuille de clients, un niveau élevé de mutualisation, et une gestion adaptée des équipes. Tout cela exige également des formes élaborées de flexibilité du contrat (Barthélemy, 2007).

 

Quatrièmement, attendre de son prestataire une capacité d’innovation et de proposition, qui se révèle essentielle dans la durée, suppose d’accepter de financer, au moins partiellement, les investissements de développement, non pas directement mais à travers la négociation tarifaire.

Croiser correctement les objectifs poursuivis et la relation avec le prestataire

 

Le passage de l’opérationnel au stratégique d’un contrat d’externalisation suppose une compréhension fine de la nature de la relation client-prestataire, et de son contenu. Deux dimensions sont ainsi identifiées : les contributions du prestataire, d’une part; et les besoins du client, d’autre part.

 

L’axe vertical progresse du niveau opérationnel (efficacité, expertise) au niveau métier, puis passe au niveau de la vision stratégique. L’axe horizontal représente les types de contribution possibles du prestataire, allant de l’offre d’infrastructures jusqu’au développement d’offres innovantes.

 

Le croisement des catégories du tableau 2 ci-dessus contribue à constituer trois profils distincts :

un premier profil autour de la gestion contractualisée d’infrastructures adossée à un objectif d’efficience; il s’agira d’optimiser les moyens et les prestations en réduisant fortement le coût unitaire;

un deuxième profil est plus ancré sur l’accompagnement du changement; les solutions techniques et organisationnelles sont liées, et conduisent au ré-engineering et à un travail sur les processus;

un troisième profil contribuant à l’innovation (technologique, organisationnelle et de business) basée sur un partage d’une vision et de valeurs communes, et mobilisant des solutions nouvelles et modernes.

Adopter un profil de collaboration

 

Déclinés d’un point de vue relationnel, ces trois profils mettent en lumière :

le profil contractuel : l’accent du premier profil sur le contrat, le respect de ses clauses et des engagements pris par le prestataire; ce type de contrat fait alors appel à des mécanismes d’incitation et à des pénalités; il repose sur des service level agreements, et des zones de progrès

Barthélemy et Quélin, 2006) ; le prestataire doit prouver son expertise de l’industrie et sa connaissance des aspects techniques; ses certifications et sa méthodologie pèsent dans la décision de le retenir ou non;

le profil ré-engineering : le deuxième pro-

l met l’accent sur la transformation et la réorganisation de l’entreprise cliente : ceci suppose une proximité supérieure à la relation contractuelle précédente et un échange dense d’informations sensibles (par exemple, le contrat signé en 2006 entre Accenture et la Deutsche Bank) ; le résultat n’est mesurable qu’à terme et une fois la nouvelle organisation testée et rôdée; du prestataire, il est requis une grande maturité de ses processus, une capacité de transfert de connaissances, et une fonction reconnue de formation;

le profil partenarial : le troisième profil suppose le partage d’une vision commune et une mise au service du client des compétences et capacités du prestataire pour développer une solution customisée; mariant le codéveloppement et l’innovation, elle requiert une forte densité du contrat relationnel qui mène à une forme d’empathie entre les deux acteurs; le prestataire doit maîtriser les formes adaptées de management des connaissances, détenir une capacité prouvée de créativité organisationnelle, et une solide réputation d’intégration culturelle.

 

 

CONCLUSION

 

Notre enquête 2006 a montré l’émergence d’une évolution dans la transformation stratégique des entreprises françaises : les restructurations font place aux investissements de développement. Les grands prestataires spécialisés pourraient jouer un rôle-clé dans cette transformation créatrice. Cependant, il s’agit pour eux d’être capables de transformer l’entreprisecliente. Prendre le leadership de ce projet est le défide demain pour les plus grands prestataires. Sinon, le développement interne risque d’être privilégié.

 

Comme pour les fusions-acquisitions, un certain nombre d’analystes (Deloitte, Diamond Cluster/Oliver Wyman, Dun et Bradsteet, Forrester) signalent un certain désenchantement des clients vis-à-vis de leurs opérations d’externalisation. Les objectifs ne seraient pas atteints, certains contrats seraient annulés, et un pourcentage élevé de clients ne seraient pas satisfaits du niveau de performance de leur prestataire.

 

Malgré une croissance à deux chiffres du marché, les prestataires verraient leur rentabilité se dégrader, des durées de contrat se réduire, et un nombre croissant de clients insatisfaits.

 

Dans cet article, nous avons cherché à montrer l’importance de la préparation en interne d’une décision d’externalisation. En mettant l’accent sur une démarche d’analyse stratégique en 5 phases. Nous insistons sur l’importance de l’analyse de la contribution d’une fonction ou d’une activité au positionnement concurrentiel actuel. Nous soulignons aussi l’intérêt de l’étude de la contribution à la création de valeur future.

 

Une décision précipitée, aux objectifs mal définis ou imprécis, ou ne répondant qu’au mimétisme ou à des considérations de court terme ne peut que créer un sentiment d’insatisfaction.

 

L’accent est mis dans cet article sur l’étude comparative des choix d’organisation possibles dont dispose toute entreprise : restructuration en interne (y compris accompagnée de réorganisations), organisation autour d’un pôle de services (centre de services partagés), et enfin, externalisation. Engager une telle démarche conduit à hiérarchiser ses attentes et ses critères de décision. C’est aussi préparer le terrain pour des décisions prochaines, en soulignant l’existence éventuelle de surcoûts internes, l’inefficacité de l’organisation en place, l’existence de solutions alternatives. Enfin, nous avons discuté les trois types de profil de relation entre client et prestataire. En effet, la qualité de l’ajustement entre les objectifs poursuivis, les gains attendus et le profil de la relation est essentielle pour tirer le maximum de valeur d’une décision d’externalisation.

 

D’un côté, introduire de la flexibilité dans la relation contractuelle permettra d’adapter la qualité du service fourni, les contenus des prestations et le prix. La technologie actuelle des contrats offre de véritables dispositifs de modulation, de séquençage et de renégociation des contrats. Il est nécessaire d’en privilégier l’adaptation fine à ses besoins.

 

De l’autre côté, si l’externalisation requiert des investissements à caractère spécifique, il est essentiel que le client accepte la rémunération du risque porté par le prestataire, car l’externalisation se traduit par le transfert de responsabilités du client vers le prestataire. L’évolution même du contrat et de la prestation peut dépendre de ces investissements préalables.

 

Enfin, l’innovation technologique ou organisationnelle sera conditionnée par la proximité, voire l’intimité, créée entre le client et le prestataire. Le partage d’une vision, la proximité des cultures de groupe, et le tissu des relations interpersonnelles seront des facteurs décisifs du passage du profil contractuel au profil partenarial que nous avons dégagés.

 

Il y a beaucoup de leçons à tirer des relations durables construites dans le domaine de la communication, de la publicité, et du conseil en management stratégique pour bénéficier pleinement en retour des bénéfices d’une externalisation.